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Marie Cosnay, lundi 10 juillet
Départ le 10 juillet Il y avait des arbres énormes par la fenêtre, une muraille de feuilles. J’ai regardé sur une carte. Christine m’a dit avoir vécu et travaillé quatre ans à G. Y avoir divorcé. La mère de Pierre Michon est morte à l’hôpital de G. Il y avait des arbres énormes par sa fenêtre, une muraille de feuilles. Je devais changer trois fois de train. J’avais des trous de mémoire redoutables qui m’empêchaient de conduire bien autre chose qu’une voiture. Les géographies me faisaient des lacets invisibles, me tendaient des pièges au bout desquels j’ignorais non seulement les lieux mais ce qui avait à voir avec les contours formes souvenirs de moi. Chaque lieu (maison, chambre, cabinet, cagibi, abri intime) s’effondre, s’effrite, le plâtre tombe en grosses plaques, les fondations branlent, les bêtes y rongent les assises. Sur le meuble qui fait face à mon lit qui fait face à la fenêtre dans ou sous les arbres fameux du parc sur la butte derrière l’hôpital de G, il y a une boite à bijoux. Je ne l’y ai pas amenée. Elle est rouge, ornée de coquillages faux, couverte d’une sorte de taffetas sali.
Urgences La première fois David s’est coincé le phare d’une petite voiture de fer dans l’os de l’oreille. On avait incisé, c’était le début de la nuit, j’avais appelé le Samu : Mon fils a une voiture coincée dans l’oreille. La deuxième, nous avons ma sœur et moi veillé ma grand-mère dont la fin s’annonçait, d’abord dans les couloirs des urgences, à Noël, puis dans une chambre dont les toilettes étaient condamnées. Afin de simplifier la tâche des soignants, on mettait aux vieilles dames abîmées et peu mobiles des couches où pisser. Déambuler la nuit, toutes les trois, perfusion attachée, rechercher les toilettes communes, rire de se cacher. La troisième fois nous avons attendu six heures aux urgences que se libère la salle des plâtres pour le bras cassé de Lorenzo. La salle enfin libre, il ne se passa rien, mais quelques heures encore. Toutes les demi-heures nous nous enquerrions doucement des progrès nous concernant mais n’obtenions pas de réponse. Quand la première infirmière est arrivée, elle a renversé le seau à eau servant aux plâtres. Nous pataugions et nous faisions engueuler. Ils firent le plâtre. Le défirent, s’étant trompés de fracture. Nous attendîmes la deuxième infirmière, pataugeant toujours sur les draps vainement jetés, afin de l’éponger, sur l’eau versée. Je crois que nous nous excusâmes. Du travail, des urgences, de la peine, erreur, fatigue. Des informations ne circulant pas de la salle des radiographies à la salle des plâtres. De la pensée surtout que nous eûmes, furtive et coupable, qu’il eût fallu circuler et faire circuler, parler et sourire. Mon expérience de l’hôpital s’arrête là.
Guéret A propos des arbres, c’est vrai. Un cèdre bleu géant. En descendant, la petite place du Marché. Maisons grises, l’une d’entre elles éclairée de volets d’un vert heureux. A l’idée de ne pas savoir comme il le faudrait aller à la rencontre de la ville, de l’hôpital, des histoires, je reste devant l’arbre bleu. Je regarde la carte, il faut savoir qu’on est au milieu. J’ai imaginé cette boite rouge faite de faux coquillages posée sur une table de chevet curieusement loin de mon lit. Elle me venait peut-être du rêve d’une récente nuit. Un pope mort, mon père et Georges Perec s’y confondaient. Ils m’offraient une bague que je rangeais avec chagrin, affliction extrême, dans un coffret rouge. La bague était griffée de sombre, de cuivre peut-être. J’y tenais beaucoup.
W Benjamin, le narrateur « C’est surtout chez le mourant qu’on voit prendre forme de réalité transmissible non seulement le savoir ou la sagesse d’un homme, mais surtout le contenu même de sa vie, c'est-à-dire la matière dont sont faites les histoires. De même qu’au moment de la mort il voit défiler intérieurement une série d’images – faites de vues prises sur sa propre personne dans les instants où sans le savoir il s’est lui-même rencontré-, ainsi, d’un seul coup, dans ses gestes et ses regards, c’est l’inoubliable qui surgit et qui confère, à tout ce qui concerne cet homme, l’autorité dont se revêt pour les vivants, à l’heure de la mort, jusqu’au plus pauvre diable. La narration repose sur cette autorité. »
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