Marie Cosnay, mardi 11 juillet

 

Service public

La jeune femme chargée du service pédiatrie nous dit c’est ça l’hôpital public. Elle insiste, elle est très douce, intelligente, ses yeux le disent, quelque chose d’autre, elle dit c’est ça, l’hôpital public.

Quand une femme est battue elle peut venir passer la nuit, ici ce sont les soins et ça,  aussi : on la reçoit, elle peut venir avec ses enfants, une, deux journées, on met en place ce qu’il faut avec les service compétents.

Je voudrais ne pas en savoir plus sur les services compétents. Experts, pédopsychiatres, éducateurs, pédagogues, évaluateurs, médecins légistes. Je retiens le visage assuré, plein de douceur et d’intelligence, de la responsable du service pédiatrie. Sa façon de dire c’est ça le service public.

 

Disciplines

« Alors que les systèmes juridiques qualifient les sujets de droit, selon des normes universelles, les disciplines caractérisent, classifient, spécialisent. Elles distribuent le long d’une échelle, répartissent autour d’une norme, hiérarchisent les individus les uns par rapport aux autres, et à la limite disqualifient et invalident. (…) »

« L’hôpital d’abord, puis l’école, plus tard encore l’atelier n’ont pas simplement été mis en ordre par les disciplines ; ils sont devenus, grâce à elles, des appareils tels que tout mécanisme d’objectivation peut y valoir comme instrument d’assujettissement (…). C’est à partir de ce lien, propre aux systèmes technologiques qu’ont pu se former dans l’élément disciplinaire la médecine clinique, la psychiatrie, la psychologie de l’enfant, la psycho pédagogie, la rationalisation du travail ».

L’examen : « On le voit, sous la forme de tests, d’entretiens, d’interrogatoires, de consultations, rectifier en apparence les mécanismes de la discipline : la psychologie scolaire est chargée de corriger les rigueurs de l’école, comme l’entretien médical ou psychiatrique est chargé de rectifier les effets de la discipline de travail. Mais il ne faut pas s’y tromper : ces techniques ne font que renvoyer les individus d’une instance disciplinaire à une autre et elles reproduisent sous une forme concentrée ou formalisée, le schéma de pouvoir- savoir propre à toute discipline. »

« Quoi d’étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ? »

— Michel Foucault, Surveiller et Punir.

 

Vieux

Pour des raisons trop longues à expliquer, j’ai haï la psychologie scolaire, celle qui est chargée d’adoucir les rigueurs de l’école, et dont parle Foucault.
Et les experts auprès des tribunaux, chargés d’étudier les faits à la lumière des représentations qu’ils s’en font, d’interpréter, d’adoucir, d’éclairer les décisions des juges.
La technique consistant à poser au sein de l’hôpital des écrivains aux vagues tâches (poser des questions, écouter, noter, dans l’habit blanc du médecin, les réponses au fil des visites que l’on suit, et pour finir écrire un texte de quelques dizaines de pages qui soit témoin de ce passage à l’hôpital) ne va-t-elle pas bel et bien renforçant l’hôpital dans sa clôture et dans sa discipline ?
De la maladie et de l’affaiblissement du corps, du lieu du corps malade nous glisserons vers cette instance, qui sous prétexte de savoir-faire et savoir-dire, pose les questions, écoute, enjolive, rend fictionnel et vole à ceux qui l’ont peu ou ne l’ont plus, la parole.
Illusion que les patients, parents d’alités, vieillards nourrissons soignants cadres et femmes de service quittent l’enfermement ou la discipline où ils sont contraints. La parole est ailée.

J’ai rencontré M. Trabuc, ce matin. Il dirige l’unité de soins aux personnes âgées, convalescentes, qui trop dépendantes pour vivre seules ne sont pas assez malades pour bénéficier des soins de l’hôpital. Certaines, parmi ces personnes âgées, seront heureuses d’être écoutées. Parler, ça leur fait du bien, a dit M. Trabuc. Et à vous, m’a-t-il demandé ? Qu’est ce que ça va vous faire ?

Aux derniers jours de juillet 2005, ma sœur ne quittait plus notre grand-mère. C’était à l’hôpital de Dax. Quand on enleva à notre grand-mère l’alliance qu’elle portait depuis soixante-dix ans, ma sœur hurla. Tous ceux qui parlaient raisonnablement et doucement devant le corps étroit et mort de notre grand-mère, ma sœur les a haïs.

Quant à M. Trabuc, son père, pompier, le sauva, tout nourrisson, d’une mort par étouffement. C’était une sorte de miracle, le père ne devait d’être présent chez lui à ce moment-là qu’à l’erreur d’un collègue.

 

 

 

 

 

 

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