Marie Cosnay, vendredi 28 juillet

 

(…)

Je ne vois rien. Une femme m’aborde, je la suis et l’écoute. Myriam est très en forme, ses cheveux sont longs, dénoués, elle est un peu vulgaire, porte un short de jeans court et le tee-shirt par-dessus le soutien-gorge aux bretelles qu’elle frise tout en parlant est d’un rouge vif qui contraste avec la douceur du parc, des amaryllis, des cèdres grisés (liste du CM parfaite jusque là, seul un arbre, droit, étroit, bleu de nuit, me reste inidentifiable). Ce qu’elle dit est réfléchi, elle l’a déjà servi, c’est une sorte de dixième répétition. Cela donne à Myriam une assurance qui lui va bien, elle jette en arrière ses cheveux dorés. Nous sommes suivies.

Elles sont suivies. L’homme est vêtu de sombre, peut-être d’un costume deux-pièces. De dos, comme on le vit d’abord, ombre et silhouette près de l’arbre inconnu droit tendu, on aperçut autour de son cou une écharpe piquée de poils d’hermine et de martre, fourrure digne. Peut-être avions-nous fait quelque erreur d’appréciation. La chaleur, le besoin probable qu’il avait de ne pas se faire remarquer, enfin la fréquence de ses retours à venir où jamais il ne parut vêtu exactement comme il sembla, ce jour-là, qu’on le vit, démentait l’hermine. Elles traversent le jardin, marchant vivement. Elles ont cessé de parler. Il fallait quitter la façon émue, quotidienne, habituelle, de raconter. Elle font une pause, devisent. L’impuissance le dispute à la fatigue. Il faut faire vite, prendre de court celui qui marche derrière, le semer. Elles remontent. Devant le palais de justice, elles se retournent furtives. Il n’est plus là. Elles notent. Vêtu de sombre, écharpe de poils d’hermine, rien dans les mains, ni valise ni attaché-case. Le visage, un profil, résigné, ou plutôt, diront-elles, effacé. Myriam niera le connaître, elle ne l’a jamais vu, à personne d’identifiable il ne peut ressembler.

Je porte mon secret comme une chance, celle d’être exceptée dans un monde ignorant. Parfois pourtant la panique m’étreint, pour les mêmes raisons. Je n’ai pas choisi la chambre d’hôtel où je suis reçue. Le lit est étroit, à sa droite la fenêtre me regarde, les genêts claquent sous le soleil invariable, les châtaigniers sont encadrés de pâles nuages très mobiles, imitant les formes des arbres. Les murs sont d’un vert très clair, les plinthes couleur jaune d’orient, le linoléum gris et marbré. Sur le mur, en face du lit, un moustique a été écrasé, pointé. La trace noire a un peu coulé. Parfois, seule à subir l’assaut des couleurs ainsi qu’à ordonner les éléments de l’enquête, interdite de confidences, je me décourage. Ce sont alors des nuits entières où je suis livrée à un espace sans limite qui n’exclut pas la fin. Je me vois disparaître, jouer la scène incroyable de la mort dans la solitude exigée par le CM. Je voudrais alors souffler à Myriam des indices sur mes véritables raisons d’être ici, sur mon lieu d’origine. Outre la peur de l’effrayer et de perdre brusquement notre amitié scellée le premier jour, celui de la quasi course poursuite où nous semâmes l’homme en noir, je résiste, soumise à la peur outrancière, la seule dont nous pouvons pâtir là-bas, des ordres et de la vengeance du CM.

A suivre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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