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Lundi 5 novembre 2007 Qu’est-que je fais ici ? Je lis les auteurs qui sont venus en résidence d’écriture avant moi à l’hôpital de Guéret. Aucun n’échappe à cette question ? Ma présence ici pose toutes sortes de questions y compris : qu’est-ce qui fait que j’écris ? J’écris parce que le théâtre m’intéresse. Je n’écris pas pour témoigner de la douleur d’autrui. J’écris souvent pour comprendre le monde dans lequel je vis. Quand j’arrête d’écrire, le monde m’apparaît confus. Je suis ici parce que j’écris — depuis le début, on invite des écrivains — mais surtout, pour poursuivre un projet d’écriture. Et je ne crois pas une seconde que mon métier pourra servir à qui que ce soit ici. Bien sûr, il y aura une trace de mon passage dans cet hôpital. Mais comment cela se manifestera-t-il dans l’écriture, je n’en sais rien et je ne veux surtout pas contrôler ou préméditer la façon dont ça surgira. Tout ce que je sais, c’est que ça n’apparaîtra pas de façon évidente. Avant de quitter le Québec, j’avais déjà décidé d’une forme en écartant d’emblée le roman qui m’apparaissait comme une entreprise de trop longue haleine et le journal ou le carnet de bord qui me paraissait LA forme à éviter, celle avec laquelle je craignais de tomber dans le rôle de voyeur — rapporter des faits spectaculaires — dans le rôle de l’imposteur — un écrivain en sarrau blanc ne sera jamais un hospitalier — ou dans le rôle du sauveur — comment faire que mon métier leur soit utile ou salutaire. Dans ce métier, je ne suis jamais voyeuse ou imposteur et, bien que j’aie déjà ressenti l’impuissance, ça n’a jamais été dans des moments où j’écrivais. Je sais aussi la nécessité de l’art sans que ce soit nécessaire, je sais son côté salvateur sans que ça sauve quoi que ce soit, je sais que l’art a depuis toujours une fonction d’assainir l’air sans que ça empêche la pollution, et je sais son côté libérateur sans que ça empêche les prisons. Je sais ça. Je suis ici avec un titre officiel et un statut qui ne l’est pas. Et je n’ai rien d’autre à faire et ne veux rien faire d’autre que mon métier comme d’habitude. J’avais donc décidé d’écrire des brèves théâtrales. C’est là-dessus que je travaille. Oh ! J’entends des voix qui protestent… et je ne suis pas Jeanne d’Arc. Mais enfin, quoi ! Je sortirais d’ici et je ne témoignerais de rien !? Je n’irais pas raconter ce qui se passe ici !? J’y serais venue absolument pour rien !? Sans tenir compte du lieu où je suis !? Hé ! Ho ! Nous avons tous des amies qui ont accouché, quelqu’un de la famille qui a subi une intervention, une grand-tante que nous sommes allés visiter une fois avec gêne. Eux, c’est nous ! Pourquoi ce lieu soudain deviendrait-il si particulier ? Je ne suis pas dans un lieu coupé du monde ni dans un lieu où on ne peut pas circuler. Je suis surtout dans un lieu où on a peur, où on est immensément vulnérable et où les soignants passent leur temps à contrarier la mort, pour emprunter les mots de C., la sage-femme. C’est de ça que je pourrais parler à l’instant où j’écris ces mots. Plus tard, je ne sais pas ce qui en sortira. Je ne suis pas une journaliste. Je ne suis pas une analyste. Je suis une fabricante de fictions. Et je m’y amène toujours, dans un premier temps, en bataillant contre tout ce qui m’empêche d’écrire. Oui, je poursuis mon métier comme je le fais habituellement. Avec cette seule différence que ce que j’écris là, c’est précisément le genre de questions que je me pose en période de création. Or, quand je note ce genre de réflexions dans mon journal, il n’y a personne en train de me lire au même moment.
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