un mot pour un autre :: les carnets de bord
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Filip Forgeau | Carnet du 7 juin posté le 8 juin
[Consigne d'écriture : Je suis habitant de…] Ici, j’habite un pavillon. Dans ce pavillon où j’habite, habitent aussi d’autres ambulanciers. Il y a même une ambulancière. Elle ne porte pas de blouse, c’est sûr, mais elle porte peut-être une culotte. (Mais ça – et c’est paradoxal – sans blouse, c’est difficile à voir.) Dans le pavillon où j’habite, nous faisons tous le même métier. Mais sans doute pour des raisons différentes. Nous ne sommes pas à un paradoxe près. C’est un peu le pavillon des paradoxes, ici. Le pavillon que j’habite est un pavillon ouvert, qui a même l’air d’être ouvert sur le monde. En effet, le monde, lui, est à deux pas : juste derrière les grilles. Du pavillon où j’habite, je vois donc les habitants du monde : ils marchent, ils courent, ils se pressent, ils roulent vite en voiture, roulez petits bolides… Ils font même parfois d’étranges voyages en hélicoptère. (Principalement quand ils ont roulé trop vite à bord de leur petit bolide.) Le pavillon où j’habite est très lumineux et ça me permet de mieux voir dans ma pénombre. Il y a de grandes baies vitrées, et ainsi je peux voir et être vu. J’ai parfois un peu l’impression d’être en vitrine, mais j’ai toujours bien aimé les vivariums. D’ailleurs, depuis tout petit, je me prends pour un python royal. Serpent fabuleux, je glisse sur les sols, linoléums de cuisine, ou carrelages de salle de bains. Dans le pavillon où j’habite, on me jette parfois quelques lapins vivants. Mes préférés sont les petits lapins blancs. Mais les petits lapins blancs n’habitent pas longtemps dans le pavillon où j’habite. Car je les broie entre mes anneaux et les avale assez rapidement pour éviter qu’ils aient peur trop longtemps. Certains disent que c’est cruel mais moi je pense que c’est pour leur bien. Et dans le pavillon où j’habite, je me retrouve finalement toujours seul avec les deux autres ambulanciers et l’ambulancière. Eux ne mangent pas de lapin et ils me regardent parfois bizarrement quand je rampe dans la cuisine. Ils ne disent rien, mais je sens bien qu’ils n’en pensent pas moins. Ils sont là, avec leur assiette, leur couteau et leur fourchette, à ne rien me dire – parce qu’on ne parle pas la bouche pleine – et à me regarder bizarrement. Ils sont polis, mais je crois bien qu’ils sont complètement fous. Dans le pavillon où j’habite, il y a de drôles d’habitants et quelques paradoxes…
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[Texte écrit à l’atelier d’écriture à partir d’un objet : une bague] L’anneau de M Je suis l’or greffé à ton doigt Imprimé dans ta chair Je suis là sur ta peau Comme une crampe à l’aine Je suis là sur ton ventre Luisante cicatrice Python musculeux aux écailles d’agate Je suis la pensée dans ta tête Le petit grain roulant sous tes caresses Je suis la pupille de tes yeux La lumière dans ton noir intérieur Je suis ton sexe Et mon sexe enfoncé dans ton sexe Ton serpent constricteur de très grande taille Je suis la fleur de ta peau L’arbre solitaire de ton jardin secret Je suis le baiser sur l’or froid Je suis le métal précieux de tes lèvres Je suis ta langue et le goût de ta langue Je suis toi et l’étranger en toi Je suis toi et l’étrangeté en toi Je suis ton corps et ton corps étranger Enfoncé comme une balle Qui déchire Qui arrache Et qui blesse le cœur Je suis ton écharde Je suis ta mort et ton plaisir Ta petite mort Je suis là Dedans et dehors à la fois Au-dedans En dedans Là Au-dedans En dedans de toi Au-delà
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