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Filip Forgeau | Carnet du 21 juin posté le 22 juin
[Consigne d'écriture : Autoportrait]
Autoportrait (avec usure du temps)
Tous les matins, pendant que je me lave les dents, le portrait d’Otto me fixe de son drôle de regard.
Depuis l’autre jour qu’il est revenu, Otto passe son temps dans la salle de bains. Il y reste cloîtré. Coincé entre la baignoire et les chiottes, recroquevillé sur lui-même, anémique.
Tous les matins, j’ouvre la porte et dis bonjour à Otto, qui ne me répond pas.
— Bonjour !
— …
Je m’avance vers le lavabo — d’où s’échappe toujours une sale odeur d’urine, à cause d’Otto qui s’obstine toujours à pisser dedans (« les chiottes j’aime pas, je préfère les lavabos » il dit, Otto) — je prends ma brosse à dents, lui écrase le dentifrice sur les fibres et me lave les dents.
Tout en me frottant l’émail, j’essaye de parler avec Otto.
— T’as encore pissé dans le lavabo, Otto ?
— …
— Tu passes ton temps collé contre les chiottes, t’as juste à te lever et à pisser dedans, putain, c’est pas compliqué !
C’est souvent quand je me rince la bouche et que je crache qu’Otto dit quelques mots.
— Les chiottes, j’aime pas, je préfère les lavabos… C’est beau, un lavabo…
Quand il me dit ça, moi je pense qu’Otto est complètement siphonné, qu’il a vraiment mal à la tête, et que ses pensées à lui elles sont vraiment comme des eaux usées.
Ouais, tous les matins, pendant que je me lave les dents, le portrait d’Otto me fixe de son drôle de regard. Et quand je regarde le portrait d’Otto à travers le miroir et mon autoportrait dans la glace, je me dis parfois qu’avec l’usure du temps, faudrait vraiment que je fasse gaffe à pas trop lui ressembler.
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