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Filip Forgeau | Carnet du 27 juin posté le 28 juin
[Consigne d'écriture : Un lieu ]
D’île en île, j’étais arrivé sur « L’île des perruches » en m’agrippant à un rondin de bois dérivant au gré des courants. Depuis des millénaires, bon nombre de mes congénères avaient fait de même. Car j’avais, depuis quelque temps déjà, délaissé ma peau de serpent constricteur pour revêtir l’aspect plus saurien des lézards-caméléons.
J’avais dérivé, avait dit le médecin en chef. Oui, j’avais dérivé, allongé sur mon bout de bois exotique, et j’étais fier de ma dérive. J’avais mué. Ma peau morte de serpent constricteur gisait dans un autre monde, quelque part sur un sol de carrelage ou de linoléum, quelque part dans la maison abandonnée d’un ancien hôpital où vivaient jadis quelques ambulanciers. Mes anneaux n’étouffaient plus personne, ils s’étalaient sur un revêtement de cuisine ou de salle de bains et formaient de drôles de cercles à l’intérieur desquels on pouvait encore déceler quelques os et squelettes de petits lapins blancs, quelques restes de lapines (deux ou trois nombrils, une multitude de strings). Et, de mon tronc d’arbre, je découvrais maintenant un monde nouveau, salué par la clameur de perruches virevoltant au-dessus de moi dans une nuée de plumes bleues, vertes et jaunes.
J’avais dérivé, avait dit le médecin en chef. Oui, j’avais dérivé, et au bout de cette fabuleuse dérive, j’avais atteint les rives lointaines et inaccessibles d’un ailleurs tant rêvé. Echoué sur le sable blanc, j’avais sauté de mon rondin de bois comme de mon brancard, et je m’étais mis à courir dans un couloir de dunes. Derrière moi, l’océan avait la résonance d’un nom et d’un tam-tam indien, et ses peintures de guerre étaient d’un bleu lagon. Face à moi, m’appelaient déjà les écorces d’autres arbres sur lesquelles je n’avais plus qu’à me confondre avec nuances. Et tandis que j’attaquais déjà l’ascension du plus haut cocotier de l’île, l’océan emportait, tel un rondin de bois, mon brancard, dont je n’avais plus besoin, loin de moi.
J’avais dérivé, avait dit le médecin en chef. Oui, j’avais dérivé.
Et j’étais guéri.
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