un mot pour un autre :: les carnets de bord
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Filip Forgeau | Carnet du 15 juin posté le 16 juin
Un « je » comme un autre Je ne sais plus vraiment qui je suis. Je n’entends rien. J’écoute. J’appréhende plutôt. Je respire. Je ressens. Je hume. L’humeur du temps présent et les relents du passé. Je ne me souviens de rien, pourtant. Mais j’invente. Tant pis. J’évite la mémoire. Je fais semblant. J’exhume ce que je peux sans me rappeler de rien. Je n’attends rien de tout cela. J’espère peut-être, en secret. Je ne sais trop quoi. Je regarde. Avec insistance parfois, mais vaguement la plupart du temps. Je ne nage pas vraiment. Je barbote. Je maintiens la tête hors de l’eau. Je recrache quelques poissons. Je savoure quelques sirènes. J’ai la queue qui frétille de temps en temps. J’ai froid quand c’est fini. Mais je ne regrette rien. J’étouffe tous les remords. Je les enterre profond. Et je pisse sur leur tombe. Je ne pisse pas plus loin que ça. Je n’ai que la gueule. Je crache aussi parfois. Un peu de sang et beaucoup de salive. C’est mon venin à moi. J’étreins des corps avec mes bras. Je caresse le grain de leur peau. J’ai toujours aimé la texture des peaux. C’est la matière que je préfère. J’ai écorché la mienne, souvent. Je me relève maintenant, depuis peu. Je suis un peu plus grand que quand j’étais petit. Je mets beaucoup de temps à grandir. J’ai mis beaucoup de temps à ne pas tomber. A éviter la chute. Je me construis doucement, brique rouge après brique rouge. Je tends vers le solide. Je ne jette plus ma tête contre les murs. Je chuchote, je dis des mots murmures. Pourtant j’exècre les silences religieux. Je suis plutôt un hérétique. J’aime les cuisses de grenouilles. Je les écarte dans l’eau des bénitiers. Je fais CROA CROA en éclaboussant la dalle. Et je les fourre en gueulant des insultes en latin. « Salopute in nomine mabite ! Salopute in nomine mabite ! » Je jouis dans une communion totale. Mais je me sens un peu seul parfois. Je m’isole. Je me retire. Je me déserte. Je suis un peu une île. Je pense souvent à elle. Je l’emmène sur mon île, sur mon sable, sur le bout de mon monde. Je l’adore, puis me retire. Je me retrouve. Seul et avec elle. J’aime bien les paradoxes. Je suis un Robinson. Un Robinson qui croît. A son rythme. Un Robinson qui a cru. Zoé Zoé matelot, matelot navigue sur les… flancs. Sur les flancs, je m’échoue. Sur les flancs de Zoé. Je m’échoue, je me naufrage, je me cachalote. Je me cache. Je me disperse. Je m’enfuis. Je disparais. Je m’évanouis dans les bras de l’autre. Je perds mes connaissances. Je m’oublie. Je tombe dans ses pommes d’amour toutes rouges. J’aime son parfum sucré. Son petit goût de caramel. Je me colle à sa langue. Je sonde son coquillage. Je déambule dans sa fête foraine. Je cours à la lune. Je traverse tous ses parcs. Je suis un fou sous les étoiles. Et je saute la barrière de corail. JE NE REVIENDRAI PAS !
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