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Pascale Lemée | Carnet du 9 juin posté le 10 juin
[Consigne d'écriture : Révolte]
rouge
émeraude
violine
orange
lie-de-vin
turquoise
en bleu blanc rouge
républicaine
estudiantine
velours
ouvrière
littéraire
théorique
émancipatrice
réactionnaire
éduqué
violant
obscène
limité
tyrannique
endoctriné
rêveur
épris
vindicatif
ombrageux
libre
tueur
émerveillé
rage
envie
volonté
organique
libre
triste
enfermée
réfléchir
écouter
venir
observer
lire
tenir
édifier
révolté
encore
visage
on verra…
loterie
tant pis
et puis quoi…
réminiscence
envolée
ventre
onanisme
lente
tentation
ennui
ratures
écrivain
vain
obsolète
lecture
transitoire
écriture
révolution
érotique
virginale
originale
libertine
traumatisante
étoilée
râleur
emmerdeur
vantard
omniscient
lubrique
tragique
étrange
ramasse !
essuie !
vend !
obéi !
lave !
tranche !
étonne !
rat
échassier
vautour
ortolan
labrador
termite
écureuil
ratage
échec
vanité
outrage
lamentation
terreur
endeuillé
réprimée
émasculée
vendue
oubliée
latente
trahie
endeuillée
riante
enjouée
vive
ogresse
légère
trépidante
éblouissante
reine
empalée
violée
outragée
laminée
tuée
endeuillée
rumeur
entêtante
vicieuse
orgiaque
lubrifiée
troussée
embrassée
reins
entonnoir
vagin
ordonnance
lithium
testicules
eh, toi là-bas !
***
Choses vues, choses entendues…
Deux hommes aux cheveux blancs, marchant d’un même pas, marchant légèrement à la suite l’un de l’autre, cigarette à la bouche, la paume des mains sur les reins, coudes en V, ouvert sur le dos… chercheraient-ils à s’envoler ?
« Je ne crois pas à la maladie mentale. »
Des yeux verts, un sourire rouge…
« Je dois penser pour les démens. »
Des mégots de cigarettes en bordure de pelouse, sur la pelouse, plantés dans la pelouse.
Des cigarettes entre des doigts tendres ou fanés, portées à des lèvres ourlées, dessinées, droites, fripées, sèches ou humides…
« La lecture c’était beau, plein d’émotions. Ça m’a donné envie d’écrire et de peindre. De me battre. »
Des hommes et des femmes assis en terrasse, au soleil exposés, du soleil protégés. Chaleur ou fraîcheur. Ombre ou lumière. La lenteur du geste, de la main qui à la bouche porte la tasse à café, des doigts encore agiles qui roulent une cigarette, la tendent à son voisin, la petite cuillère qui tourne, tourne dans la tasse, qui finira sans bruit toute étourdie sur la soucoupe.
Des yeux qui regardent, mais qui, quoi, comment ? Des pensées qui dans le vent tiède s’envolent mais vers qui ?
« Pourquoi il nous appelle des « habitués » ? »
La lenteur extrême de la démarche d’un corps jeune encore, d’un corps si jeune encore pourtant, sidérante, dérangeante, inquiétante, troublante. Et puis l’apparition soudaine, d’une femme sans âge en salopette aux couleurs bariolées… toutes ces couleurs me font tourner la tête… l’adolescent blond a disparu… déséquilibre…
« L’exigence ça isole. La solitude ça va, mais l’isolement, c’est autre chose… »
Le corps des « bien portants » derrière les baies vitrées.
« N’ayez pas peur, ce n’est pas un patient. »
Sous le bonnet de laine, les yeux, sous les yeux sur les joues, le menton, le cou, une barde noire… et puis un corps, bien assis sur une chaise, rien ne dépasse…
« Bonjour, je suis Sarah. »
« C’est joli Sarah. J’aime beaucoup. Si j’avais eu une fille je l’aurais appelée Sarah, ou… »
Je n’ai pas entendu l’autre prénom prononcé par la jeune femme à la robe rouge, mais peut-être n’a-t-elle rien dit…
Cigarettes, cartouche de cigarettes achetée en ville… la ville est là, juste là… dehors, au-delà des barrières automatiques, des grilles…
« Si on avait pu être prévenu bien en amont… »
Rentrer / Sortir… Sortir / Rentrer… ça va vite… ça pourrait aller si vite… ça devrait aller si vite… il faudrait pouvoir le faire vite… ça va toujours trop vite…
Et ne pas entrer, jamais… !… ?
Et ne pas sortir, ne pas en sortir, ne pas s’en sortir, jamais… !… ?
« Lui, il est presque né ici. Toute sa vie, il l’a passée ici. »
Corps lourd, visage rond, crâne rasé, mèches rouges… seul, assis à la terrasse… bientôt rejoint par d’autres, des femmes, quatre femmes… le rouge des mèches demeure intacte, brille sous le soleil…
« Salope ! »
Canette vide roulée par le vent sur la terrasse, entre les tables… petite boîte à musique dont rien, ni personne ne vient interrompre le chant… n’ose interrompre le chant..
Regarder le cèdre du Liban… dire encore son nom « cèdre du Liban », parce que cela me plaît tant…
« Perrier, c’est fou ! »
Peu, voire pas de sourires.
« On est quand même pas loin de la cours des miracles, non ? »
Voix altérée, articulation incertaine, lente, presque douloureuse, qui dans la bouche se défait… poignées de mains molles, regards troubles… silence bavard, assourdissant… regarder le cèdre du Liban… regarder encore le cèdre du Liban… et puis revenir vers eux…
« On va plus faire de café jusqu’au 18 juillet… si on est pas deux, on ne fait rien. »
Blouse vert d’eau, pantalon de toile blanc, sabots blancs, une infirmière, la première que je vois, ici à la cafétéria, avec nous.
« On meurt beaucoup en psychiatrie. »
« Bonjour, j’aimerais confirmer un rendez-vous avec Mme S, l’aumônière. »
« C’est moi, l’aumônière. En fait nous sommes deux. Mais asseyez-vous, je vous en prie. »
« Merci. Je suis PL. je suis auteur, en résidence ici, et …
« Oui, très bien, attendez, je vais noter votre nom. Voilà, c’est fait. Et où êtes-vous ? «
« Au pavillon des ambulanciers »
« Au pavillon des ambulanciers ? Mais vous êtes hospitalisée depuis quand ? »
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