un mot pour un autre :: les carnets de bord
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Pascale Lemée | Carnet du 15 juin posté le 16 juin
[Consigne d'écriture : Oui / Non] (texte à chanter)
C’est une patient(e), un infirmier(e), un(e) psychiatre, un(e) cadre de la santé, un livreur, un serveur, un pompier, un homme de la sécurité, qui disent non, non, non, non, non, non, toute la journée, ils disent non, non, non, non, non, non, personne ne leur a jamais appris qu’ils pouvaient dire oui, oui, oui, oui, oui, oui… sans même écouter ils disent, non, non, non,non, non, non, ils sont pourtant tous si jolis oui, oui, oui, oui, oui, oui, qu’on voudrait les entendre tous dire oui, oui, oui, oui, oui, oui…
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Je suis combien ? Depuis des années, je me pose la question. De réponse n’ai pas encore trouvé. Mais ce qui certain c’est qu’ici, je ne suis pas assez nombreuse. Il me faudrait des têtes, des cœurs et des corps pour à chacun donner et trouver en moi une place où l’accueillir… pour chaque jour penser, me taire et écouter… pour parler, dire, raconter et écrire ce qui chaque jour me traverse, me trouble, m’émeut, m’inquiète, me fait peur, sourire ou rire et qui chaque fois est unique, parce que chaque fois donner à entendre et à voir par un être unique. Je compte depuis toujours tout et partout, et me compte depuis toujours et partout, quand je suis seule ou avec un autre, une autre, dans mon appartement comme dans un lieu public, quand dans un tête-à-tête assise à une table chez moi, je me sais dans l’autre pièce à lire ou à dormir, quand assise à une table dans un restaurant à manger et à discuter, je me vois dans le même instant debout au bar à boire un verre, seule et silencieuse. Quand je ne sais plus si c’est à moi que l’on parle ou à laquelle en moi on s’adresse, quand je ne sais plus qui en moi répond, quand je n’écoute plus et qu’un autre moi-même qui est peut-être seulement moi m’interroge ou me distrait par ses commentaires ou ses réflexions, je compte encore… Ici, je n’ai pas de temps pour ça, compter, pour savoir celle que je suis ou ne suis pas, celle que je serai peut-être, tout va trop vite ou trop lentement, tout est trop drôle ou trop désespérant, trop figé ou trop flou… je suis envahie, débordée, submergée, au point que je ne suis plus certaine d’être celle qui écrit ces mots, que je ne sais plus rien de celle qui écrit ces mots. Et pourtant, pourtant, je continue à compter, quelqu’un oui, continue à le faire là quelque part en moi, parce qu’ils sont là tous, et parce que chacun tour à tour me dit qu’il est le seul qui compte.
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