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Pascale Lemée | Carnet du 11 juin posté le 12 juin
[Consigne d'écriture : Ce que j’ai à dire en rouge…]
Peut-être,
que je ne comprends la phrase ou plus exactement que je n’entends pas ce qu’elle cherche à provoquer en moi.
Mais peut-être,
ne cherche-t-elle pas à me provoquer…
Peut-être,
que je lui accorde un sens caché qu’elle n’a pas.
Peut-être,
est-elle aussi creuse qu’elle en a l’air…
Ou peut-être,
devrais-je inventer celui ou celle qui pourrait dire une telle phrase,
la clef est peut-être là, qui sait ?
Seulement je n’en ni l’envie ni le courage,
une autre fois,
peut-être…
* * * * * *
[Carnet de bord]
Choses vues, choses entendues… (suite)
J’ai pas envie d’aller à Paris, mais alors pas du tout. (un temps) C’est dingue ça, à croire que je me sens bien ici…
L’emprunte de nos mains dans la lumière sur les baies vitrées du salon.
Tu peux passer par… (La main droite indique une route, la gauche une autre. Les bras en croix, P. se reprend) Passe par où tu veux…
Des cheveux blonds sur le canapé noir.
Je voulais sortir boire un verre, et je m’aperçois que dehors il n’y a personne. Que je n’ai personne à appeler.
Les portes closes des chambres.
Bonjour.
(Je tends la main pour saluer F, F s’en saisit et m’attire vers lui…)
On s’embrasse. Ici, c’est la main de Dieu. On s’embrasse toujours. On prend le café. Ici c’est la main de Dieu. On est toujours bien accueilli.
La femme d’hier en salopette aux couleurs vives, aujourd’hui sobrement vêtue de noir et de blanc.
Samedi, je t’emmènerai dîner Au Paradis et puis nous irons boire un verre Galerie de l’Enfer.
Mon carnet de notes sous les draps, retrouvé ce matin sous mes draps…
C’est un chêne palustre… mon arbre préféré.
Une jeune femme, maigre, brune, comme pliée dans son fauteuil roulant. Le bas de pantalon de la jambe gauche relevé : dans le tibia, une broche apparente…
A mon entretien d’embauche, l’infirmière-chef m’a raconté toutes les agressions qui avaient eu lieu ici…pour bien me décourager… (temps, silence, sourire…)
L’adolescent blond, plus fragile et plus perdu qu’hier…
Deux cafés : un neurone quatre-vingt !
Le rouge et blanc des barrières automatiques, le bleu et noir des petites barrières à certains endroits, dans certaines allées…
Être ici, c’est être un frère au milieu des souffrants. Les souffrants, c’est le Christ.
François fait ses bagages, comme hier Jean-François, et comme hier l’embrasser lui et lui souhaiter un bon voyage…
Il y a beaucoup de suicides ici.
Ceci est un porte-parapluies, pas une poubelle.
On ne parle pas des suicides… on les cache : on dit « il » ou « elle » ne vient plus.
Deux bibliothèques : une pour les malades, une pour le personnel.
La clé ? Ah mais je l’ai. Ah, non, je l’ai rendue. Est-ce qu’ils vont me la donner ? Est-ce qu’ils vont m’autoriser à la prendre ? A qui je vais la demander ?
Les mèches rouges sur le crâne rasé, bien coiffées.
Votre poste est verrouillé… votre poste est verrouillé… votre poste est verrouillé… votre poste est verrouillé…
Les barquettes fermées par de l’aluminium, un film plastic, transportées dans une glacière, puis empilées dans le frigidaire. Repas du soir, pain pour la semaine.
C’est un échange, j’ai besoin d’eux.
Le petit diamant dans le lobe gauche de l’oreille de Ph.
Qu’est-ce que vous lisez à vos patients ?
N’importe quoi.
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