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François Chaffin | Carnet du 11 juin posté le 12 juin

 

Aujourd’hui samedi, je me sens loin

Aujourd’hui samedi, je me sens loin.

Je me sens devenir une pierre, indicateurs sensibles au plus bas.

J’ai pas l’goût du monde et de son humanité, j’ai pas d’plaisir, pas de force, pas d’appétit.

Un jour sans.

Un jour comme un autre, avec de l’air, de l’eau, la vie, mais un jour sans feu.

Je repense à l’étymologie du mot fou ; il viendrait de feu, du brasier qu’on a dans le corps , dans la tête, ventre et cœur, le grand incendie.

Le feu des enfers, le diable en personne qui habite à l’intérieur de toi, ton petit home bien capitonné d’habitudes, tout brûle alors, tu fais la connaissance du malin, il te consume un peu plus chaque fois qu’il te parle, chaque fois que tu t’y abandonnes.

Et ce médecin qui donnait à ses patients de la glace à croquer.

Quelle dérision de croire ainsi possible d’atténuer le brasier, qu’un peu d’eau gelée suffirait à vaincre Satan !

Et que faire d’un malade qui ne croirait pas en Dieu, et son corollaire méphitique ?

Que ferait un toubib qui ne croirait pas en Dieu ?

Aujourd’hui samedi, et je crois qu’on n’exorcisera rien de moi ce jour, sinon quelques mouches décaties, noirceurs ailées sans aucune envergure.

Je me demande ce qui est à l’intérieur d’une tête démente.

Le souvenir d’un temps où tout allait bien est-il aussi palpable que dans l’esprit d’un accidenté de la route qui garde intact ce temps où il n’allait pas en fauteuil roulant ?

Aller bien : est-ce qu’on peut faire souvenir de cet état ?

Est-ce que la folie corrompt toute la mémoire ?

Quand à moi, je m’enlise juste un peu dans un ego boiteux.

Observer la souffrance véritable, s’y intéresser seulement devrait me rendre la vie simple, et miraculeuse…

 

 

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Jack ne se reconnaît pas quand il se voit dans un miroir

Jack ne se reconnaît pas quand il se voit dans un miroir.

Il reconnaît son ambulance, sa blouse, son permis de conduire, son briquet, ses clopes, ses godasses, mais pas son corps, mais pas sa tête.

Jack, quand il conduit sa voiture et se regarde dans le rétroviseur, Jack quelquefois dit : « Bonjour, je vous emmène à Esquirol ? »

D’autres fois il ne dit rien, il laisse son visage frôler le miroir, se confondre avec l’asphalte qui défile en arrière.

C’est dingue, non, de ne pas se voir dans les miroirs ?

De toutes façons, Jack n’aime pas particulièrement se regarder dans la glace.

Il n’est pas bavard : éviter les miroirs lui permet de ne pas avoir à converser inutilement avec l’autre, le reflet.

Par contre, si vous vous mettez à proximité de jack et que vous apparaissez dans le même miroir, il vous reconnaît immédiatement, engage la conversation, vous demande qui est la personne qui vous accompagne.

Enfin c’est ce qu’on raconte, parce que je n’ai jamais eu l’occasion de faire cette expérience, d’approcher de si près Jack, l’ambulancier du pavillon…

 

 

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[Consigne d'écriture : En psychiatrie, ce n’est pas comme en chirurgie]

 

En psychiatrie, ce n’est pas comme en chirurgie, on ne coupe pas les bras et les jambes des gens pour les aider à se soigner.

On n’ouvre pas la tête, le thorax, le cœur des malades pour aller fouiller dans tous les coins d’où vient la panne, en demandant toutes les trois secondes une nouvelle compresse pour éponger le sang qui se fait la malle.

En psychiatrie, ce n’est pas comme en chirurgie, on travaille sur l’intérieur des gens, presque sans les mains, et il y a un tas d’outils sans aucune nécessité, scalpel, ciseaux, scie, il y a un tas d’outils qu’on garde pour le jardin, le week-end, quand il est la saison de scarifier la terre.

On travaille sur l’intérieur, quelquefois depuis l’intérieur des patients.

Ça ressemble à une visite impromptue, comme un voisin qui s’est invité chez vous, et vous surprend tout nu dans votre petit jardin.

Alors moi, ce que je vois en rouge à l’hôpital Esquirol, puisque telle est la consigne, c’est juste la canette de coca qu’un habitant du lieu porte à sa bouche sur la terrasse, et peut-être aussi le regard du Christ au fond de l’aumônerie, tant il semble que le Diable ait ses entrées faciles à l’intérieur de nous…

 

 

 

 

 

 

 


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