un mot pour un autre :: les carnets de bord

 

 

 

 

 

François Chaffin | Carnet du 18 juin posté le 19 juin

 

[Consigne d'écriture : Etat des lieux]

 

One again…

Au milieu du séjour, se méfier de soi-même, de l’indécence de son écriture, de la distance qui grandit entre le réel et sa propre métamorphose.
Au milieu du pavillon se dire : pourquoi ? pour qui ? suis-je condamné à l’égoïsme ?
Se demander si l’on ne « se » dit pas plutôt que devenir authentiquement la parole des autres.
Se poser la question du lien établi avec le lecteur : est-ce à toi que j’écris ? L’espérance du beau (le bon mot, la poésie, l’effort vers la littérature) n’est-elle pas toute supercherie, lâcheté, égotisme ?
Au milieu du séjour se réfugier dans la sécurité des autres, des bons coups à jouer, des amabilités notoires.
Au milieu se planquer dans sa chambre pour écrire, ou bien voisiner avec l’ordinateur du collègue, mettre nos bulles en touche-touche, inventer des dispositifs bicéphales, tricéphales, comme des parois entre le réel et nous.
Au milieu du séjour, trouver enfin l’interrupteur qui commande une lumière dans la salle de bain, et se dire que désormais la vie sera plus simple…

 

 

* * * * * *

 

Soliloque avec Jack


Lui :
Jack, Jack, qui es-tu ?

Jack :
Je suis la voix dans le noir, le souffle coupé…

Lui :
Jack, que viens-tu faire dans ma tête, et par où passes-tu ?

Jack :
Je suis venu me reposer. Je suis arrivé par entre tes dents, la porte était ouverte, le moment propice, j’ai pensé que je ne te dérangerais pas.

Lui :
C’est sûr, Jack, tu ne me déranges pas. Tu me remues, mais tant que tu n’allumes pas la lumière, tant que je n’ai que l’idée de ta présence, de ton visage, alors c’est cool, tu ne me déranges pas…

Jack :
Tu as si peur de me voir enfin ?

Lui :
Je ne sais pas, je suis crevé, je suis pas certain de tenir le coup. Tu dois être un peu bizarre, non ?

Jack :
Qu’est-ce que tu veux dire…

Lui :
Je sais pas, c’est que c’est un peu nouveau pour moi : tu causes, tu dors entre mes noirceurs, tu disparais, tu reviens, c’est comme si t’avais la clé ! Tu es là parce que je pense beaucoup à toi ; tu me parles gentiment, tu dors aux mêmes heures que moi, on s’arrange pour la salle de bain, mais quelquefois, je te sens aussi prêt à tout, comme si tu allais me sortir par les yeux, les narines, les oreilles et la bouche. Tu es inquiétant, Jack, c’est ça que je sens…

Jack :
Détends-toi, garçon, je vais pas te manger. Je ne suis pas un de ces parasites qui te bouffent par l’au-dedans ; je suis juste venu me reposer un peu, attendre des jours meilleurs, retrouver la gouache.

Lui :
T’es si fatigué que ça ?

Jack :
Tu n’as pas idée. Les compressions à zéro : j’ai plus qu’un tout petit reste de jus pour me faire tenir debout, trois petites colères… et c’est ça qui n’est pas bon pour moi, c’est pour ça que je me suis installé chez toi.

Lui :
Tu sais, depuis des mois, j’ai plus les watts, moi non plus…

Jack :
C’est pour ça aussi que je suis entré sans difficulté, la porte était grande ouverte et…

Lui :
Alors tu es venu coller ta fatigue à la mienne, ton dépit sur mon dépit, ta grande gueule dans ma grande gueule ?

Jack :
C’est un peu ça, je voulais me regarder en te regardant.

Lui :
Et qu’est-ce que j’y gagne, moi ?

Jack :
Tu peux me regarder aussi.

Lui :
Dans toute cette obscurité ?

Jack :
Veux-tu que j’allume ?

Lui :
Non ! Déconne pas, je te l’ai dit, je préfère te sentir, poser mes pensées sur toi, les laisser te deviner, sentir en toi ce qui est en moi.

Jack :
Ben voilà, c’est ça le deal. Je suis celui par lequel tu vas te retrouver.

Lui :
Ah oui, c’est bien ça…C’est bien, Jack, c’est bien que tu sois venu…

Jack :
Je ne te fais pas mal quand je te remue ?

Lui :
Non, t’inquiète. Tu fumes ?

Jack :
Oui, chaque fois que tu allumes une cigarette, et chaque fois que tu t’enflammes…

Lui :
Désolé.

Jack :
Pas grave…

Lui :
Tu parles d’une maison de repos…

Jack :


Lui :
Tu crois qu’on va s’en sortir ?, Je veux dire, se sortir l’un de l’autre, et connaître chacun les bons jours ?

Jack :
Ouais, je crois ça, je crois qu’on va s’en sortir, et de belle manière…

Lui :
Ça fait du bien de t’entendre, Jack, ça fait du bien.

Jack :
Toi aussi mon pote, je suis bien content de te connaître, je suis bien heureux d’habiter chez toi…

Lui :
Bon, on se donne vite des nouvelles !

Jack :
C’est sûr, mon homme, on se retrouve bientôt.

Lui :
Très bientôt ?

Jack :
Oui, très bientôt…

 

 

 

 

 

 

 


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