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François Chaffin | Carnet du 30 juin posté le 1er juillet
Dernier café sur la dernière terrasse
Dernier café en compagnie d’un homme que je rencontre pour la première fois.
Lui, comme les autres : de la gentillesse et de la disponibilité à fleur de peau.
Café, cigarette, nécessairement la conversation tombe sur la météo, qui vire au gris froid, ce jour.
Il me dit que l’éclipse est pour bientôt, qu’il va faire terriblement moche et sale et qu’ensuite, ce sera le temps du renouveau, chaleur et ambre, toute la panoplie du beau fixe.
Il me parle des gens, tous confondus dans leur soif d’argent, ajoute qu’il est bien au-delà de cette cupidité et qu’il s’est offert le luxe du temps ; qu’il peut attendre ici des années encore…
Je bois ces paroles avec la certitude qu’il ne ment pas.
J’ai souvent eu la sensation que quelles que soient les extravagances échangées avec les personnes d’Esquirol, jamais ces gens-là ne me mentaient.
Jamais ils ne disaient que ce qu’ils avaient à me dire immédiatement, gratuitement, avec conviction et force intérieure.
J’ai souvent pensé que ces gens ne portait pas les masques ordinaires de nos vies de bonne santé.
Pas de simulation, de calcul, de stratégie.
La bouche connectée sur le cœur.
La parole ici circule avec davantage de fluidité, avec infiniment moins de précaution.
Elle naît du pur désir de dire ou d’exprimer, prend les droites lignes du souffle et de la bouche, s’expulse comme la musique d’une trompette, chargée d’un sens plus émotionnel qu’intellectuel.
Une façon de poser la main sur toi avec des mots.
Une parole pour se purger les sens, faire place à l’air frais, ventiler, toujours ventiler !
Les choses se disent au présent, comme des poignées de mains.
Je ressens une ouverture extrême, une spontanéité infaillible dans le dialogue avec ceux qui se servent des mots.
Je sais aussi que beaucoup se terrent dans le silence.
J’ai appris de ceux qui parlent, des voix s’éjectant loin des habitudes de nos bouches, de ces voix qui me rappellent l’enfance, et l’innocence ; qui se tiennent debout et face au vent, coûte que coûte…
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Le coiffeur
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est oblong, tu dois avoir des soucis, tu dois prendre sur toi pour ne pas laisser tes soucis te manger.
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est rond, ça roule bien pour toi, mais prends garde à ne pas trop croire en ta sacrée bonne étoile.
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est pointu, c’est compliqué de te parler, tu n’écoutes rien, tu n’en fais qu’à ta tête et malheureusement elle est pointue !
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est sombre, il a besoin de lumière, il n’a pas besoin d’électricité, juste de se poser sous le soleil.
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est sec, sors dehors sous la pluie, laisse entrer toutes les grenouilles.
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est bizarre, quel drôle de crâne tu as là, ça alors, c’est un vrai spécimen, ne bouge pas, je reviens avec du formol.
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est mou, il faut que tu arrêtes de te prendre pour un caramel.
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est tout petit, alors dis-moi, pourquoi toutes ces immensités qui basculent à l’intérieur ?
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est silencieux, toutes les voix qui sont dedans ne s’en sortent plus, j’ai pitié de toi.
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est penché, c’est moins facile pour toi si tu cherches l’équilibre.
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est plein, là faut que tu fasses très attention, si un oiseau y pénètre, je te garantis l’explosion !
Le coiffeur m’a dit : ton crâne est loin, comment veux-tu que je te coupe les cheveux…
* * * * * *
Au pavillon des ambulanciers, il n’y a plus rien.
Jack s’est occupé de tout faire disparaître, comme pour signifier que les écrivains n’ont jamais existé, qu’ils n’existeront jamais…
Vidé, récuré, blanchi, le pavillon est à nouveau transparent, sauf la porte des toilettes, parce que c’est gênant de voir à travers les toilettes.
On ne sait donc pas ce qu’il y a dedans.
Moi je vais vous le dire.
La seule chose qui reste de ce mois de juin 2005 au pavillon des ambulanciers, c’est un rouleau de trente kilomètres de papier toilette, au dos duquel est inscrit à l’encre noire un ramassis de signes, petites cabalistiques pour tenter l’éternité.
Si vous venez vivre en Esquirol, si l’on vous loge au pavillon des ambulanciers, vous saurez alors qui nous avons crû être, et en quoi nous avons espéré…
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Vendredi : le retour !
C’est vendredi, c’est ravioli.
Le retour à la maison, les petits qui sautent dans mes bras, Valérie qui est là, mes poissons et mes chats, les lettres à décacheter, les factures, les messages, les gens qui appellent et qui disent : Enfin, tu es là !
C’est vendredi, de retour à la maison, de retour au travail, de retour dans les raviolis.
Réapprendre à se faire le manger, réapprendre à n’avoir pas la télé, à ne pas apostropher Pascale et Jean-François et Filip, ne pas les inviter à boire un coup, à lire notre dernier texte, filer à Limoges et flamber l’argent d’écriture.
C’est vendredi, il pleut ici et là-bas il faisait beau et même quand il pleuvait c’était pas pareil !
Vendredi, et des gens me parlent et je comprends parfaitement ce qu’ils me disent et je pleure soudain énormément de comprendre tout ce qu’on me dit.
C’est vendredi putain, et il fait nuit comme en plein jour.
Et je vois à l’intérieur de moi toutes ces choses en ordre qui me terrifient.
Je me vois et c’est la dernière chose que j’avais envie de voir, et je m’inonde d’un torrent de larmes pour que tout soit flou.
C’est vendredi, je me sens seul comme un chien, je me sens seul comme un chien, et rien n’arrête mes larmes…
Je n’arrive pas à reprendre contact.
Je n’arrive pas à trouver l’envie de reprendre contact.
Je ne veux pas reprendre le contrôle.
Allez, c’est vendredi, je veux juste aller encore au gré des secondes, dériver dans les paysages mentaux, changer le temps en barque, ne garder que le regard et puis l’écoute.
Je n’ai plus la force de me porter tout entier, de porter ces mondes que je me suis fabriqués.
Je suis fatigué, fatigué…
C’est vendredi, j’attends.
Jack, j’espère de tout mon cœur son retour en moi, je veux rester changé, je ne veux plus jamais perdre cette fortune qu’on m’a donnée à Esquirol…
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