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François Chaffin | Carnet du 14 juin posté le 15 juin
Eugénie : …
Simone : Tu causes pas beaucoup, toi, hein ?
Eugénie : …
Simone : Mon mari c’était tout comme : un taiseux, pas un causeux.
Eugénie : …
Simone : Remarque, il a jamais moins causé que depuis qu’il est mort. Du coup, quand je me rappelle le temps qu’on était ensemble, j’ai l’impression du bavardage, tu comprends ?
Eugénie : …
Simone : Tu comprends pas beaucoup non plus, hein ?
Eugénie : …
Simone : C’était quelqu’un, le Raoul, une vraie force de la nature, et puis il savait tout faire dans la maison, du sol au plafond, l’électricité, la plomberie, les enduits, les tapisseries, tout ! Un putain de crac de la chignole et du glingue ! Et y réparait les bagnoles de même, y faisait aussi le jardin, légumes, patates, et les taupes, le touti quanti ! Pas bavard, c’est vrai mais des mains en or, je te dis.
Eugénie : …
Simone : Enfin je te dis ça, mais tu t’en fous peut-être. T’as peut-être jamais eu d’homme comme mon Raoul dans ta maison, t’as peut-être même jamais eu un bonhomme dans ta vie, je veux dire, un régulier, un qui te…
Eugénie : Depuis que je suis à Esquirol, j’ai perdu un bon centimètre…
Simone : Et ben voilà, c’est une bonne nouvelle… enfin tu parles, quoi, c’est ça qui est une bonne nouvelle, parce que moi, ça me chauffait un peu les dessous d’avoir le pipeau pour moi toute seule alors je vais te dire…
Eugénie : Non, ne dis rien, ferme ta gueule, je te dis juste que j’ai perdu un centimètre depuis qu’ils me gardent ici…
Simone : Ben oui c’est triste mais c’est pas si grave ! Tu sais des centimètres on en a bien assez de quoi revendre, alors un de plus un de moins, franchement, on s’en tape les deux bonnets, non, tu crois pas ?
Eugénie : …
Simone : Tu crois pas ?
Eugénie : …
Simone : Alors ça y est, t’as ravalé ta chique. C’était juste deux trois mots pour la promenade et puis c’est marre, tout est rentré dedans, bouclé triple tour !… Tu me fais de la peine, tu sais, tu crois peut-être que tu peux te passer d’une amie, c’est ça ?
Eugénie : …
Simone : Je suis peut-être pas assez bien pour toi, je sens trop le valium ou c’est mon standind qui te va pas ! Non mais regarde-toi, t’as jamais eu un Raoul dans ta merde de vie de merde et tu la ramènes avec ton silence à un euro qui me prend de son tout en haut de merde ! Tu délires ou quoi, t’es toute siphonnée de l’intérieur, pauvre dingue de merdeuse qui veux pas de la Simone comme son amie de merde à la fin, t’es complètement jetée de chez jetée !!!
Eugénie : …
Simone : C’est ça, continue à pas parler, tu sais pas qui te mangera ! Mais alors ne viens pas te plaindre, parce que la Simone, elle sera plus là et toi tu s’ras toute seule avec ta gueule de glue et ton centimètre qui s’est barré en couille…
Eugénie : Je me demande pourquoi je suis plus petite depuis que je suis ici…plus petite depuis que je te connais…
Simone : Et ben, dis donc, t’as bouffé une chaleur, hein ? Ça y va dru, les coups bas, les p’tits coups de langue de ta pute qu’est dedans l’intérieur de toi… On peut pas dire que ça y va pas, t’es d’accord, hein, là, t’es d’accord ?
Eu génie : …
Simone : OK, je vois, t’es pas dans un bon jour. Alors là, moi, tu vois, si on peut même plus discuter, alors là, moi, c’est bien simple, je préfère me la taire et me boucler, te laisser toute seule dans ton petit jus de muette et alors là, c’est bon, t’as gagné, je me tais, démerde toi avec ton silence, tu peux bien brailler, moi, c’est terminé, je dis plus un mot qui s’adresse à toi…
Eugénie : …
Simone : …
Eugénie : …
Simone : T’es quand même gonflée, tu sais que…
Eugénie : J’ai froid, on rentre ?
Simone : Ben c’est sûr Eugénie que si t’as froid on se les rentre ! On va pas crever congelées sous le séquoia, on n’est pas folles, hein ? Allez, viens, on rentre, de toute façon c’était pas un bon jour, c’est peut-être les médocs qui… Ouais, c’est toujours les médocs, c’est si difficile à doser et… T’as vu, là, en terrasse, y a les trois lurons qui sont passés à la tévé, une histoire de résidence d’écrire je crois, enfin un truc de fou ! Tu te rends compte qu’ils sont venus sans ordonnance, sans obligation, juste pour passer le temps, non mais tu te rends compte, ces types, avec la dame, là, il paraît que…
(Sa voix s’estompe quand elles entrent dans le pavillon.)
* * * * * *
[Consigne d'écriture : Dedans/dehors]
Deux dents, dehors
– J’ai deux grandes dents
(dit le lapin à son psychiatre)
deux grandes dents dehors
qui me donnent l’air d’un lapin
je n’en peux plus docteur
(dit le lapin à son psychiatre)
changez-moi ces deux dents
qui me font un vilain dehors
je vous en supplie
même un lapin a le droit
de devenir un autre
docteur
docteur
(dit le lapin à son psychiatre)
soyez sport
changez mes deux dents pour un nouveau dehors
ça me rend dingue
vous comprenez
je ne sais plus qui je suis
et si ces deux dents sont mon dehors
ou si mon dedans n’est qu’un décor
alors alors
docteur
vous allez m’aider ?
(interroge le lapin qui prend maintenant son psychiatre pour un dentiste)
* * * * * *
Jack
Jack, en terrasse, sirote un petit Perrier bien frais, assis à proximité d’une assemblée de cadres en pleine santé, debriefant une petite pathologie pas piquée des hannetons. Une jeune femme traverse l’endroit, soudain hésite, semble vouloir rebrousser chemin à la vue de cette armée d’Hippocras, regarde de droite et de gauche, avise le Jack en pleine poussée gazeuse, réalise un savant pif paf et fuse jusque dans l’oreille de l’ambulancier. « Jack, ça y est, murmure la jeune femme, je m’évade… » Ce disant à peine, le temps d’un souffle, d’un petit rôt petit, et Jack regarde au loin la voix enchantée se confondre avec le vent, partir en léger tourbillon, passer même dans les cheveux des savants réunis, finir en vadrouille, en souvenir, et en beauté…
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