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Jean-François Patricola | Carnet du 6 juin

Journal de bord

Lundi 6 juin. Arrivée à 13 heures à Limoges après huit heures de trajet sous une pluie battante. Présentation du projet, de l’éditeur, Jean-Louis Escarfail et de sa maison d’édition : le Bruit des autres, des participants au « loft d’art-thérapie », des commanditaires.

Nous voilà rendus au Pavillon des ambulanciers ; la nef des fous où nous résiderons. Désignation poétique et symbolique. De quel pavillon s’agit-il là ? de celui qui entend les mots ? les maux ? Et à quels ambulanciers songe-t-on désormais que des hommes et des femmes ayant partie liée avec l’art y résident comme dans une bulle protectrice ? Est ce que l’on tirera sur eux comme nous tirons des mots sur des images et des préjugés ? A découvrir. A vivre. Je pense également à la chambre des officiers : mais ici point de gueules cassées, ou alors de l’intérieur. Egalement en pensée, inévitablement, AFS : American Field Service et mon séjour en terre algonquine. Brancardiers d’un autre temps, des presque reliques, témoins que l’on écoute sans véritablement entendre.

Reconnaissance de nos quartiers, premières découvertes de l’Autre. Un parfum d’internat ; aux frontières de l’internement. Pascale est native de Saint-Brieuc. Il faut toujours qu’en résidence, Louis Guilloux s’invite ; désormais fidèle, à moins qu’il ne réclame la publication de ce journal que je lui ai dédié et qui dort dans un tiroir sous une chape d’oubli. A Vézelay, chez Jules Roy, en avril dernier, plein de faconde, il a tenté le coup, s’invitant à la dernière minute. Mais Julius veillait et l’a reconduit aux portes moyenâgeuses lui proposant de remettre à plus tard sa croisade. 

Quartier, ambulanciers, résonances martiales… sur un document je découvre l’acronyme PC pour poste de commandement ; vocables militaires. Où l’on oublie que la psychiatrie relevait autrefois de l’armée (et du goupillon). Et s’il n’y avait que les substantifs pour me le rappeler. Hélas, non, il suffit de considérer les bâtiments, symétriques, plus proches du bunker que du pavillon de repos, pour se rendre compte du déterminisme des origines. Pour peu, et malgré plus de 750 kilomètres, je me croirais revenu à Metz, rue du XXe corps américain ou rue Fragnatte ! Les bâtiments ont des tessitures de caserne prussienne. Ne  fait défaut, au milieu de la place, qu’une chenillette Panhard ou un AMX 30 et son tablier d’acier vert.

Psychose, névrose. J’ai envie d’ajouter sinistrose. Pour que la dose soit parfaite. 3 maux-mots qu’il faut sans cesse interroger et qui en imposent.

Cette expression dans la bouche de François : « mi-dingue mi-raisin ».

Longues conservations entre nous : se découvrir. Le loft et son principe qui vient à l’esprit ; inévitablement. Qui fait quoi et comment ? quelle salle de bains, quelle chambre, quel placard pour qui ? les horaires de travail et de coucher, de lever et du dîner, les clefs de l’appartement, etc. J’avais dit au moment de cette émission tant décriée, que si l’on plaçait sur le même mode et les mêmes principes dix étudiants préparant l’agrégation par exemple, on obtiendrait les mêmes résultats. Certes, les conversations seraient sans nul doute possible plus riches, mais la mécanique demeurerait identique ! Et c’est elle seule qu’il convient d’interroger.

Chaque semaine, la punition ne sera pas de partir après le vote des autres pensionnaires mais bien de rester ! Pascale propose que l’on se choisisse des prénoms des lofteurs. Je prends Loana ; rapport à la blondeur bien sûr ! Ce ne sont-là que des pudeurs pour l’heure.

Non loin du Pavillon des ambulanciers, l’hélicoptère des urgences de l’hôpital voisin se pose pour la troisième fois. Urgences. Chaque coup de pâle est un déchirement. Cette proximité semble davantage me glacer que toute autre pour l’heure. Hélicoptère rime avec cimetière. Rime pauvre ; de toute façon le vers retourne, lui aussi, à la terre !

V.I.T.R.I.O.L ! Oui, toujours aller plus loin, au sein de cette terre inconnue, et terreau de chaque chose qui est et qui sera. Au substantif parcours initiatique ou épreuve initiatique, on préfère le vocable expérience. Galvaudé. Une carcasse sans plus d’ossature ni de viscères, jusque le cuir tanné et flasque ; et pour le coup innommable ou repoussant.

1 heure, fin de partie. Quelques lignes durant une lecture réflexe pour veiller mon sommeil. « Le cinéma érotique » (Taschen). J’ai pris une dizaine de livres avec moi. C’est celui-ci qui s’est imposé. Eros et Thanatos déjà assoient leur suprématie. Le blanc des blouses (vertes et bleues maintenant) en hymen avec le linceul. Thanatos et son frère jumeau Hypnos également. Sur le lit de Pascale, « Le pas d’au-delà » de Maurice Blanchot. Résonances et signes.

 

 

 

 

 

 

 

 


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