|
Jean-François Patricola | Carnet du 23 juin posté le 24 juin
Consignes : « qu’est-ce que je fous ici ? » et « autoportrait avec l’usure du temps ». Rien d’autre ? Quinze jours que j’arpente cette garrigue là où nul n’entend bouter le feu. C’est pourtant l’été. Les pompiers sont prêts. La presse aussi.
L’impression d’un vaste zoo. D’une immense foire. D’un bazar ou du souk. D’être chez un antiquaire.
Dans l’échoppe du vieil homme, des parfums règnent en nombre, despotes et puissants, tels des narcotiques. Dès l’entrée, sur l’invite du vieillard qu’un sourire mangé par l’absence de dents habille hideusement, ils s’emparent de vous. Emétiques, la tête vous tourne. Sur les parois des murs, des voiles, des cacatois d’autrefois, si rêches et si blancs qu’on dirait des suaires. « Entrer plus avant ? », c’est la question que chaque visiteur se pose. Dans des vitrines poussiéreuses, des masques. La panoplie des grimaces de l’existence. Quelle triste chorégie celle à laquelle on les convie à participer dorénavant. Des outils rudimentaires, un casse-tête, une sagaie emplumée, des sceptres en bois massif, travaillés, éburnés, une carte pleine de calligrammes à l’encre passée, un cabestan, des coquillages. Jack a le vertige. Pourtant, il pousse plus avant sa curiosité et entre dans la seconde pièce. Le vieillard l’observe, sournois. Il lui sourit même. « Il a une dent contre moi » songe Jack. Une seule dent que le sourire découvre ; fichée au milieu de la chair affaissée. Stèle d’ivoire. Jack découvre les selleries de cuir tanné que les nombreuses pâtes ne parviennent pas à protéger du temps ni à lustrer. Les craquelures sont des lèvres infinies qui murmurent : il est trop tard. Des ourlets de cicatrice mal recousues. Sur une table : des dizaines de pièces de monnaies de toutes les époques et de tous les pays. Le côté face uniquement est visible. Et quelle galerie : le psychopathe urbain II, le dépressif rural, l’autiste manceau, le délirant coup pour coup, le schizophrène des deux pieds, l’infirmier extatique, le psychiatre avec sa mandorle, le thérapeute au regard vide, le poète inspiré, etc. Une galerie de portraits qui n’arracha aucun commentaire à Jack. Le temps a passé depuis cette époque où la monnaie avait cours dans les univers confinés. Sur une table grise aux pieds bancals, des dizaines de morceaux de miroir, de glace, de psyché, éparpillés selon leur taille, leur forme, leur patine et leur tranchant. Jack s’empara d’un morceau qui avait une forme triangulaire et qui lui rappela son île britannique. Il se dévisagea en fronçant les sourcils et en tirant la langue. Dans le coin droit, une main avait écrit sur une feuille en Velin d’Arches : « autoportrait, prix à votre convenance ». Il reposa l’éclat de miroir qui ne réfléchissait pas en le regardant et en lui renvoyant son noir esprit.
Dans une vitrine, la tête d’un banquier capitaliste rembourrée à l’oseille. La tête d’une femme, blonde, aux yeux bleus, même s’il s’agit de boutons de nacre, et celle d’un autre homme au faciès illuminé. Deux étiquettes, mentionnent les prix de ces trophées et indiquent également : « poètes, Esquirol, XXIe siècle ». Du travail de pro. Ce taxidermiste est un génie songea Jack en regardant des volatiles, des rapaces notamment, sur leur branche posés. Un fennec à l’oreille effritée, dévorée par des mites invisibles. Une patte d’éléphant, séchée et vernie, pour accueillir des parapluies. Et dans une caisse, Jack découvrit, non sans effroi d’abord, puis avec curiosité morbide ensuite, une jambe ; une jambe humaine. Il s’en approcha, lui tâta le mollet bombé par la résine, devina la chair momifiée sous le pli du pantalon finement repassé. Sa main caressa le cuir ciré du brodequin, suivi les rondeurs des boutons de guêtre. Au sommet, là où le tronc manque, Jack prit l’étiquette et la lut : « Jambe du poète Arthur Rimbaud ».
Le soir, lecture au Gousset. Bar à Limoges. Ils sont venus ils sont tous là, y’a même les fils maudits…
|
|