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Jean-François Patricola | Carnet du 17 juin posté le 18 juin
Pascale dont j’ai dit hier qu’elle était cuite et mûre, est définitivement partie à l’ouest. Ce matin, au petit-déjeuner, entre son clope au bec et sa tasse de café bien noir où elle trempe sa tête et sa bonhomie, elle trouve le moyen de dire : « passant » pour « patient ». Je n’ai que du souci à me faire.
Devant la glace. Une minuscule araignée dans les cheveux. Tant qu’elle n’est pas dans le plafond.
Une infirmière dont les yeux sont un onguent, la douceur des mots un baume, sourit encore et toujours ; malgré tout, force qui va et que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter.
Sur un banc où je rêve et m’abandonne, une femme s’assoit, personnel médical ? Une blouse d’un bleu foncé ; jamais vu jusqu’alors, proche du bleu de travail, de celui du plombier. Je n’ose regarder l’étiquette sur sa poitrine de peur qu’elle s’imagine que je reluque sa gorge. Elle semble perdue ; le regard est ailleurs, à moins qu’il évite de croiser le mien. Elle fait une pause ; je suppose. Ses deux mains sont posées sur les rotules de ses genoux. Le corps parle. Sa gorge monte et descend lentement ; respiration discrète, souffle que l’on reprend. Comme elle, je plante mon regard dans le lointain. Et qu’y vois-je ? Un port où il fait bon s’échouer. S’arrimer avant que de repartir vers l’ailleurs ; aventuriers de l’inutile et de l’étrange.
Pourquoi à Moreau de Tours, les patients sont-il plusieurs par chambre ? Et pourquoi les pathologies se retrouvent-elles au contact les unes des autres ? Méthode thérapeutique ? En tout cas les patients ne semblent pas comprendre. Moi non plus.
Chez l’apothicaire. Voltarène. Ahurissement de la jeune demoiselle derrière son comptoir : régime spécial carte vitale Moselle. Ah oui, j’oubliais que je venais de Moselle. Un casque à pointe, je suis un persan exotique ici ! Un éléphant dans un magasin de porcelaine ! Inquiète, elle s’enquiert de ma mutuelle : Moselle aussi. Panique. Elle appelle le pharmacien, son patron, le petit provincial, bourgeois et patron de la SARL qui n’aurait pas manqué de plaire à Balzac. Il me dévisage par-dessus ses lunettes ; et plus encore lorsqu’il décortique l’ordonnance frappée, en lettres capitales, d’un SERVICE DE PSYCHIATRIE GENERALE ! Il fait alors immédiatement une photocopie de tous les documents, carte de mutuelle y compris et relève même le numéro de téléphone ; qui n’est autre qu’un numéro vert pour contracter un contrat !
Et dire qu’ils ambitionnent de faire l’Europe ! Cela me fait penser à deux choses survenues ici : je cours le soir avec un maillot frappé d’un immense SCOTLAND en lettres capitales et blanches sur fond bleu. On me demande : « vous êtes écossais ? ». Il n’y a qu’à regarder ma tête de celte en goguette : rousse et blonde la chevelure, élancée la stature, de grosses nattes et des braies ! Je songe aux Celtes qui craignaient les petits hommes noirs du sud : les Romains. Ah si la Sicile était indépendante, j’aurais arboré ses armoiries sur mon plastron ; quoique depuis dix ans et le repli communautaire palpable partout, j’aurais trop peur d’être rattaché aux esprits étriqués en agissant de la sorte. Scotland parce que c’est une île ; tout simplement. La deuxième pensée : Marie, pas Pascale, Marie, la Pythie : Bayonne et ses indépendantistes basques. Ses cocottes minutes pleines de clous et de boulons, les gaz lacrymogènes, et les matraquages, la langue maternelle comme terre identitaire. Gaïa. Et ils ambitionnent de faire l’Europe ?! Allo Solenzara ? Ici Esquirol… Esquirol qui rigole ! Et puis, en y repensant, à la Moselle, à ses régimes spécifiques dus au Concordat ; ici, prêtre et aumônière sont payés par l’Hôpital, donc par l’Etat, donc par les Mosellans ! Ils sont fous ces Gaulois !
Dernière en date de Pascale, pour le pavillon Cabanis : elle dit pavillon cannabis ! Elle m’appelle toujours François (elle ne s’y fera donc pas ! ) et moi je l’interpelle malgré moi : Marie ! Ça chauffe sous le caillou ! Et pour tout le monde ! Elle décide de m’appeler Giovanni. Je ne lui dis pas que cela me ramène à Giovanni Fronte et j’acquiesce. Jusque là tout va bien. On rapporte mes propos sur le site « j’ai couru après des chimères ». Marie-Jeanne L, professeur d’anglais et mon premier fournisseur en dessert so british, sursaute et dit alors : « comment ça Jeff court les filles mères ? ». La preuve est faite que les virus informatiques existent ; que la maladie passe du site à l’esprit et dans la bouche. Toujours les maux et les mots ! Pour finir avec les errances du logos et de l’esprit : le pompon ! Mais j’ignore si je dois pour cela attendre minuit ! Pascale durant le repas du soir en écoutant le journal de FR3. Slovénie devient sodomie ! Coupez ! Coupez tout ! Interrompez même l’expérience. Un premier navire prend l’eau de toutes parts. Rapatriez Pascale. L’enfermement lui va si mâle ! Avec deux hommes, et Jack qui s’invite aussi souvent qu’il peut, elle est à plaindre.
Couru une heure durant. Le soleil est encore haut qui surplombe les bâtiments. La course s’en ressent qui est lente. Je n’ai pas assez bu aujourd’hui. Mais j’avance malgré le feu dans les tendons qui s’estompe après un quart d’heure. Je m’en moque : à l’arrivée Voltarène. Placebo ? Je ne le sais que trop bien, mais ça permet d’oublier que les pieds sont douleurs. Œdipe, en grec : pieds percés, ou selon la modernité des traduction, pieds blessés ou enflés ! Sous les marronniers, à l’extrémité du parc, un couple dans les herbes ; amours bucoliques. Plus loin, un homme et deux femmes conversent à grands renforts de moulinets, un caniche sautille à leurs pieds. Après six heures, les parkings sont déserts. Je cours, solitaire.
Mails ; une douzaine. Marie au contact de son chaton se « félinise » (de félin ou de Fellini ? ) et m’invite à faire le chat également ; à revêtir mon enveloppe (de matou ronchon à l’oreille abîmée ? ). Elle dit aller sur le site des « pas morts » ; c’est-à-dire des écrivains vivants que nous sommes censés être. Roger, toujours s’adressant au webmaster pour m’interpeller, nous écrit à tous les trois maintenant (c’est que le papy sait y faire pour annexer territoires et personnes, du pangermanisme de Mosellan ! ) ; plus exactement il invite mes camarades à me garder le plus longtemps possible avec eux. Le jeu paraît-il s’en ressent qui est plus fluide sans moi le samedi après-midi sur les terrains. Il dégoise sur la commedia dell’arte, les masques, la folie.
Et les fidèles qui m’écrivent, deviennent miel et soleil.
Taxinomie : elle ne doit pas devenir une liste à la Leporello !
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