un mot pour un autre :: les carnets de bord

 

 

 

 

 

Jean-François Patricola | Carnet du 7 juin posté le 8 juin

Ce n’est pas la Diane qui m’a réveillé à sept heures ni le lever aux couleurs ! C’est la noria de véhicules qui entrent et qui sortent du parc. Fourmilière.

Je lis. J’écris. Mes comparses ont le sommeil lourd : il est dix heures et nul bruit dans la demeure manifestant leur présence ne vient contredire l’hypothèse. Je vais me doucher au risque de les réveiller. J’irai me promener avant la visite officielle des lieux ; observer l’obscène ; du latin ob-scena, qui est en dehors de la scène. Déjà, cette impression que ce qui est proposé sur les planches n’est pas à la hauteur de ce qui se trame dans la coulisse. Hier au soir, j’ai ressenti cela, ce décor de carton pâte, de lourdes tentures qui dissimulaient ce que l’on entend cacher, ces bâtiments aux carrures de bunker avec des fenêtres qui n’en sont pas, meurtrières sur l’existence. Ne pas oublier que monstre vient du latin mostrare qui signifie montrer. Qui sont les Barnum modernes ? Nous ?

Qu’est-ce que je fou ici ?

Pourquoi HP rime avec fou ; l’inconscient populaire ? Anima. Etonnements. Autre cliché : le fou et l’enfant ; sacrés.

A François, à propos de la mise en ligne de nos clichés et du sens qu’ils doivent avoir, je lui dis qu’il faut oublier ces réflexes qui n’ont pas cours ici, ou alors un cours différent ! Quel sens a le sens ? Par ailleurs, il tente de mémoriser des dizaines de chiffres et je lui lance alors tout en m’étonnant de la remarque : « Tu te prends pour Rainman ? » Déjà s’immiscent des pensées et des mots qui nous rappellent qu’ici nous ne commandons pas ; sauf aux chimères. Absence et présence : résonances. Ce sont là, je crois, des réflexes de survie. L’ébauche d’une carapace. La preuve les déclinaisons de François hier pour dresser une taxinomie de la folie. Ajouter toqué !

Fou viendrait de feu, du feu du diable. Un médecin au XIXe siècle faisait avaler aux patients de la glace pilée pour l’éteindre. L’étreindre ? Les mots dictent leur loi ; dérèglement des sens. Rimbaud et Baudelaire, en figures tutélaires. Nous sommes des voleurs de feu. Le savoir et l’assumer. Et observer les renvois, les signes : cet après-midi, durant l’atelier d’écriture, une jeune femme produit un texte sur l’eau et le feu. A la pause, une autre joue avec une boîte d’allumettes, brûle allumette sur allumette et finit par se brûler les doigts. Echos. Vol au-dessus d’un nid de coucou devient rapt ou vol à la tire au-dessus d’un nid de coucou !

A la Châtaigneraie, atelier d’écriture (art-thérapie), des salles où l’on sculpte, travaille la glaise et la matière, où l’on plâtre les bleus à l’âme. Une autre pleine d’instruments. Je les trouve soudainement sinistres ces guitares, xylophone et autres percussions. En effet, je ne peux m’empêcher de songer aux origines du logos : instrument-instrumentaliser-instrumentalisation ! Sur une table, un livret gorgé de pensées. Relevé celles-ci : « La psychiatrie m’interdit de parler aux imbéciles », « Je vais pleurer pour vendre mes larmes », « La chaleur de tes nichons fait rougir mon saucisson ». Rien à voir avec cette dernière pensée, une porte sur laquelle figure une plaquette de cuivre mentionnant culinothérapie.

Je reviens à instrument. Déjà le comportement se modifie au contact des autres pensionnaires du Pavillon des Ambulanciers mais également des personnes que l’on croise au cours de la journée. Et que dire alors de l’écriture ? Un mot me vient à l’esprit, qu’aussitôt le besoin de l’analyser, de considérer son origine, son étymologie, sa portée et tous ses sens et acceptions surgit avec lui. Ainsi donc des instruments mais également de la salle à dessins. Dessein.

Dans cette perspective, en sentinelle sur le qui-vive, je suis attentif au discours d’autrui. Entendu durant les deux heures de la séance d’écriture : motus vivendi pour modus vivendi et cette expression non moins symptomatique : « Toi tu ne serais pas toi ». Eclairante ; même si j’ignore comment l’écrire : conditionnel ou futur ? Quoi qu’il en soit, absence de futur et négation de l’altérité. L’atelier est un cri pour beaucoup : se faire entendre, clamer sa rage de soi et de l’autre, témoigner, dire le non-dit. On devine l’acte salutaire car aux trémolos dans la voix, au souffle coupé, succède l’apaisement, la voix dans ses éclaircies. Dire et entendre : toujours le pavillon. D’ailleurs entendu parler de « pavillon ouvert » et de « pavillon fermé » pour signifier que l’on peut ou non circuler librement sur le site. Vocabulaire barrière : fermer les écoutilles, les sas pour une lente immersion. On dresse des clôtures, on ne se mélange pas, degrés et castes, la société, là aussi, recomposée. Tellement humain. Trop. Autre expression qui m’assaille aussitôt : « c’est tout frais ». Je songe aussitôt à ce proverbe russe qui dit que le poisson pourrit toujours par la tête ! La difficulté réside dans l’écartement et l’écartèlement de ces mâchoires qui me conditionnent. Trop tôt pour contourner l’obstacle. Observer et ressentir. Ensuite échafauder un plan ; éventuellement. Sinon se laisser porter par le flot et découvrir le delta au moment de rejoindre la mer. La Source, quelquefois, il nous semble la connaître, elle et ses gargarismes sibyllins. Mais la vaste table bleu, qui peut prétendre l’embrasser, s’y attabler pour un repas à nul autre pareil ?

Comment comprendre cette locution désormais : « écrivains en résidence » ? Surveillée ? conditionnée ? les confins comme l’exigeait Mussolini qui n’appréciait pas les mots autres que ceux officiels. Gramsci et Pavese. Oui, travailler fatigue. La dictée !

« Verrà la morte e avrà i tuoi occhi ». Ce n’est que ça, non ?

Mon texte en atelier : consignes : un quart d’heure pour produire un texte sur un objet qu’un participant nous a remis. On me remet une montre. Plus précisément, F. me tend sa montre et s’empare dubitatif de mes lunettes. La montre démontre glacial un attachement à l’heure, au leurre, au lien social. Liée au poignet. Lié à l’autre. La montre de F. Un sablier qui mesure le temps ; comptable tout le temps. Grains qui s’immiscent dans les veines, ces autoroutes de l’existence, à moins que ce ne soit des couloirs de piste d’athlétisme. Qu’en est-il plutôt que quelle heure est-il ? Elle est en quartz et pourtant si légère ; bloc de pierre arrachée à l’immensité du temps. En plaques qui la composent, armure de métal ou de cuir d’un samouraï. Elle cercle et encercle la main. Manicles. Menottes sur des menottes défuntes, asphyxiées par la course de Cronos. 15h15. 1515. Ça date précisément et ça renvoie à l’Histoire. Sa petite histoire mélangée à la grande. Sa grande histoire diluée aux fragments des secondes. Montre. Montre-moi ton poignet et je te dirai quel temps tu fais. Montre des abysses aussi ; sans les s pourtant sinon ça ferait mon(s)tre. Jusqu’à 100 mètres ! Ce ne sont pas les 100 mètres de Carl Lewis dans son couloir (si tu mords, tu meurs), non ce sont les 100 mètres d’une interminable apnée qui dure tout le temps. Le temps d’une vie gravée dans le marbre et dans le quartz.

J’aurais pu ajouter : « avec le temps va tout s’en va, (…), avec le temps on n’aime plus ! ». C’était une question de tempo !

FR3 présent durant l’atelier pour filmer la séance. Philippe s’est débrouillé pour prendre la bague de la journaliste, jeune femme au regard d’émeraude, et lui déclarer sa flamme dans un texte plein de faconde. Le savoir-faire à l’œuvre. Aux dires de Jack, plus belle encore en chair et en os qu’à l’écran ! Ah les sens !

François déchaîné durant la lecture de son texte. On sent le maître à l’œuvre : le metteur en scène, l’homme de théâtre. Il fait mouche. L’atelier tout entier rit à gorge déployée. Séquence heureuse pour la presse qui s’empresse de filmer la chaussure de Jack sur le bureau. Bravo ! Pascale, pleine de pudeurs et de retenues, décline la proposition. Preuve s’il en est qu’écrire n’est pas facile ; même pour ceux dont l’écriture est l’activité essentielle !

En songeant aux mots et à leur portée, me revient en mémoire, sans trop savoir ce qui a pu produire cette réminiscence ma rencontre avec François Collin. C’était en 1995, dans une célèbre brasserie du VIe arrondissement. Elle m’avait dit  en maîtresse femme : « J’aurai un livre de Blanchot, faites donc de même ! » En étudiant et disciple craintif, je m’étais avancé vers elle avec mon livre à la main. Je l’aperçus assise, feuilletant un livre, elle me dévisagea par-dessus ses lunettes, me jaugeant très vraisemblablement, puis elle brandit le livre. C’était Celui qui ne m’accompagnait pas. Moi j’avais dans ma main Le dernier homme !

Comment se distingue la langue et le langage ? Et qu’est-ce que le langage privé de celui qui parle ?

 

 

 

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Assis sous un énorme séquoia étêté par la foudre ; vers 22h00. Perdu dans mes pensées, j’entends soudain un bruit lancinant venir du loin. Puis, le bruit se rapproche et je peux l’identifier alors sans mal : une mobylette pétaradant traverse la place endormie. La chevauchant un homme en uniforme rouge : un livreur de pizzas avec son caisson bringuebalé à l’arrière ! Vision irréelle ! Ensuite, tout redevient silencieux. Quelques lumières aux fenêtres, mais jamais personne.

Vers 23h, laissant le bureau de Philippe où nous nous sommes rendus François et moi-même afin d’envoyer par mail nos journaux respectifs, une voiture, elle aussi rouge, toujours le feu, freine brusquement devant nous, pleins phares sur nos visages. La sécurité ! Contrôle et vérification. L’homme repart en songeant qu’il a assisté là à une énième pantalonnade ! Songez donc des écrivains en goguette le soir dans un parc, tout guillerets d’être parvenus à surmonter leurs problèmes informatiques et qui baguenaudent, hilares, entre chemins de traverse et errances individuelles. Rien d’anormal en quelque sorte.

Avant de regagner nos pénates personnelles, nous nous sommes lus nos écrits respectifs de la journée. Initiative heureuse et pleine d’apprentissages. Ecouter, entendre, prendre la parole, lire, et s’apercevoir également que d’un même événement vécu en commun naissent de nombreuses versions si différentes. Il n’y a qu’une empreinte digitale et génétique ! La complétude également. Etranges sensations que de partager aussi un quotidien de l’écrit. En point d’orgue le soir, comme un conte avant le coucher. Le marchand de sable.

 

 

 

 

 


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