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Jean-François Patricola | Carnet du 20 juin posté le 21 juin

 

Traces, symptômes, signes, équivalences, parallèles, différences, analogies ; appelons tout cela comme on voudra. Ici, une seule question prévaut, et je m’en rends compte après quinze jours maintenant, c’est celle, supposée, esquissée initialement, du sens. Quel sens a notre démarche ? Quel sens a la démarche de l’administration ? Quel sens a la thérapie de ce psychiatre ou de ce service opposée à tel autre ? Quelle démarche a un sens ? Je songe à ce vieil homme, aperçu  par deux fois, tordu comme un olivier centenaire et qui s’aide pour évoluer, pour que son être au monde est un sens, d’une canne ; qui marche lentement, très lentement. Il est si plié par les années et ses tempêtes intérieures qu’on dirait qu’il va tomber et se briser, s’éparpiller en mille éclats comme du cristal de Bohême. Au XIXe siècle, on appelait les patients les « insensés » !
Un retour sur soi s’impose avant que d’interroger les autres. Il se trouve de par le monde des hommes et des femmes qui, pour mieux se connaître, pour obéir aux commandements de la Pythie de Delphes, « connais-toi toi même » bouscule (et bascule) leur existence : rentre dans les ordres, se lance des défis insensés (qui n’ont pas de sens ; mais justement si), quittent la campagne pour la ville et vice versa, traversent des déserts, retournent à l’école, changent de professions, d’époux et d’épouses, etc… Pourquoi ? Pour le sens toujours. Je m’interroge. Ma peau se fait l’égal de celle d’un saurien. STOP ! Envie de moi ! La rencontre et le partage, oui ! Mais écouter et absorber les solitudes de l’autre sans faire retour sur soi, sans se durcir et s’endurcir afin de mieux s’interroger, de prendre ce temps qui fuit et nous enivre, ou nous rend fou, est sot et vain. Et plus égoïstement les siens, qu’en fait-on ? Ce n’est plus la phase dubito ergo sum mais plutôt cogito ergo sum ! Je revois cette infirmière, assise sur un banc, le regard figé dans la panse floconneuse des nuages ; comment pourrais-je d’ailleurs l’oublier ? Il disait le repli sur soi, le temps d’un instant, pour que la machinerie ne se brise pas, ne s’arrête pas. Elle disait je suis là et je suis ailleurs à la fois. Je me ressource. Je retourne à la source où j’ai mis mes membres à tremper.

Lectures. Non plus pour le savoir et la curiosité, l’apprentissage et la découverte ; mais pour l’évasion. Des draps noués qui permettent de franchir l’indicible muraille qui nous maintient captif.

Grand bal médiatique. FR3 Limousin au Pavillon des Ambulanciers. Deux journalistes ; femmes. Pascale, en maîtresse de céans qu’elle n’est pas (pour parader elle est là ! ) fait visiter la gentilhommière aux journalistes. Ma chambre comprise : c’est Verdun ! Merci ! Le vivarium bien ordonné ne suffira plus désormais à sauver les meubles. Je prépare le café pour tous (et les visiteurs également : Christine de la Compagnie du Désordre, Pierre, Madame Julia, les responsables de la sécurité). François fait le pacha, vautré dans un fauteuil. A moins que ce ne soit Jack vu le « hello ! » qu’il a lancé à Madame Julia, grand manitou in situ (Directrice de l’administration des biens). Des questions, l’air de rien, pour tâter le terrain, jauger et juger, qui est stressée (c’est Pascale), qui est cool (c’est François), qui est dubitatif (c’est ma pomme), recueillir quelques informations dignes d’intérêt et orienter le sujet reportage.
Ronde de nuit avec la patrouille. J’ai le micro UHF (ultra haute fréquence, portée 800 mètres). Bien sûr, j’ai rien demandé. Je suis là comme un con à marcher, à chercher quoi dire, quelle question poser au patrouilleur. Mes camarades s’en tamponnent allègrement le coquillard, ils marchent à mes côtés et ricanent sous cape. Enfin, je trouve une question (au reste très pertinente) : « combien de patrouilles effectuez-vous par nuit ? ». La camerawoman virevolte autour de nous tel le bombyx de la mort attiré par la flamme de la bougie. Le patrouilleur répond : « Je ne peux pas vous répondre ! ». C’est pas gagné ! On n’est pas couché. Le manège a débuté à 21 heures. Je tourne ma phrase autrement. Très sérieux, très professionnel alors que j’hallucine en marchant et en revenant sur mes pas (on la refait !). François, endimanché, les mains dans les poches renvoie une tout autre image que celle escomptée : où est le stress d’une patrouille, l’angoisse d’une évasion, d’une effraction ? Il ne lui manque que le brin d’herbe dans le bec ou la canne à pêche sur l’épaule. J’embraye sur une seconde question, tout aussi pertinente que la première, il va sans dire : « et les soirs de pleine lune comme ce soir, ou demain, avez-vous des consignes spécifiques, plus de rondes à effectuer ? » Le patrouilleur éclate de rire et nous renvoie à la case départ ; moi à mon incontinence. C’est vraiment pas gagné. Pascale se réveille enfin et l’abreuve de questions ; toutes sérieuses. François est sur scène, un théâtre à ciel ouvert ; la lune l’éclaire, les étoiles l’admirent. Il module sa voix, rit aux éclats, pose des questions insensées. Moi, j’ai le micro au col et dans la poche. Je recueille malgré moi tout cela. En parcourant un chemin, je m’immobilise pour regarder un papillon de nuit, noir, assez gros, plaqué sur une lampe. Réflexe de l’entomologiste que je ne suis pas et que j’aurais aimé être. Surgit la camerawoman qui me demande de la refaire. Embarras. Comme un con, je redescends les marches, prends mon air étonné et ahuri : « oh que voilà un étrange et beau papillon oh oh n’est-il pas ?! ». Ça tourne, projo dans la gueule, épinglée comme un Flammifera ou un Typhoeus Hoffmannseggi. Il faut le vivre ; au moins une fois dans son existence ; cette impression d’être carabe ou cétoine offert aux regards de tous alors qu’on a rien demandé. J’ai dans la tête un clou d’épingle. Et ce n’est pas fini, je me retrouve à parler et à répondre aux questions de la journaliste. Je ne sais même pas ce que j’ai dit. Les rigolos qui me servent de camarades sont en retrait, l’air sérieux , le regard plongé dans la nuit et ses affres. François me taquine : « c’était pas trop mal mais t’aurais pu éviter les répétitions ! » Ouais ! Et c’est pas fini. Notre lecture du soir est filmée sous tous les angles (même ma main qui place la fiche électrique au cul de l’ordinateur) ! Enfin, on a échappé au jogging (nous sommes allés courir avec François vers 18H30 en plein soleil, mais tranquilles). Ça tourne, ça tourne, on parle, on lit, François raconte et raconte, ça y est il est enfin dans le match. Des vacances. Pascale et lui lisent et relisent. Tout heureux : les gens de théâtre ; toujours. Ils en profitent pour m’égratigner devant la caméra : « on va lire le travail effectué à partir des consignes… T’as pas de consignes toi, hein le rebelle ? » Pas de consignes, chambre en bordel, le vrai barje quoi. Pauvre de moi. Ensuite, l’équipe filme par la fenêtre Pascale tapotant son clavier avec ses ergots (car il faut vous dire monsieur, chez cette dame là on tape pas sur le clavier, on tapote…). Bientôt une heure du matin ; tous s’en vont. Nous demeurons. Discutons. Extinction des feux 2H30.

 

 

 

 


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