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Jean-François Patricola | Carnet du 12 juin posté le 13 juin

Pascale a fait tout le ménage. François est un fumiste. Quant à Jack…

Je voulais me rendre à la messe. L’église est fermée : plus de prêtre. Un homme au pull-over rouge sur un banc. Deux autres cheminent ensemble et palabrent au son des oiseaux du parc. Au loin, une blouse verte. Du monde chez l’aumônière. Une célébration païenne de la messe. Peut-être y-a-t-il un diacre là. Je n’entre pas. Me promène un peu. Un hélicoptère en stationnaire. Un second qui se pose : les accidents domestiques du dimanche : pied sectionné par une tondeuse, faciès remodelé au white spirit sauce barbecue ; sûrement. Je passe et repasse. Rêveries d’un promeneur très solitaire. Très peu de monde. S’il n’y avait pas les oiseaux et les rotations des hélicoptères en ce dimanche, on pourrait croire le parc désert ! La ville oubliée des dieux.

Corrigé la moitié du jeu d’épreuves des Dresseurs d’ombres (sic !). Après presque deux ans, l’envie de tout réécrire est vivace comme tenace. S’en tenir aux seules remarques du directeur de collection qui n’aime pas les points de suspension trop fréquents chez moi. Sinon, je suis majoritairement ses conseils et suggestions. Sauf à deux ou à trois reprises pour lesquelles je tiens à conserver mes tournures et le lui fais savoir. A part un ou deux chapitres, je suis encore content de l’ensemble ; même avec le temps et le recul qui vous fait vouloir tout chambouler ; rayer tout d’un gros trait rouge. Il faudra lire l’autre moitié et saisir les corrections ; le tout avant le 20 juin. Pas trop envie. J’ai tellement de notes ici à mettre au propre. Cela pollue mon univers mental et mon écriture.

Selon Pascale me citant à son éditeur, j’aurais dit jeudi soir, veille de mon départ : « Je n’ai pas envie d’aller à Paris… c’est dingue c’est à croire que je suis mieux ici ! » Entendu : « A Limoges, on limoge, c’est pour cela que ça s’appelle ainsi ! », « Ici, on a le plus grand cimetière d’Europe et la population la plus vieille d’Europe ». Dans les artères principales de la cité limougeaude, en regardant les magasins de faïencerie et de vaissellerie, je me suis fait la remarque suivante en songeant à Longwy et à Lunéville en terre lorraine : « y-t-il un lien de cause à effet entre la lettre L et les émaux et la vaisselle ? »

 

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Mails de Thierry Mirande : Toussaint Laverdure a quitté la presse de l’imprimeur. Il est prêt à parader : il a, j’en suis certain au vu de ses antécédents, du coffre et de l’allure. Je m’en réjouis pour Giovanni Fronte, malade, esseulé sur sa colline balayée par le sirocco, sans ses lamas mais avec tant de souvenirs qu’il partage avec les étoiles. D’Isabeau. De Flo. De Zazie. Un long mail de Marie Cosnay duquel se dégage une puissance poétique et humaine qui révèlent son talent et ses blessures. Une longue lettre d’amour christique. Un partage, une confiance et une communion ;  des secrets également. J’aurais tant souhaité que ce mail-ci fût une lettre. Qu’est la puissance des mots, leur force poétique sans le papier et l’encre ? Malheureusement rien ou si peu ! Je dois être archaïque. C’est en tout cas bouleversant !
Un mail : « et Jack Bauer il est où ? » Message sur portable de Jeff : « t’es toujours là ou déjà interné ? » C’est étrange comment les comportements se modifient encore et toujours lorsque l’on vous sait aux confins de l’ailleurs et de l’autre. Les mots sont repoussoirs et révélateurs. Signes. Significatifs. Symptomatiques.

Dans le Matricule des Anges, un long article consacré à Marie Cosnay qui « déploie les points de vue, élaborant ce qui ressemble à un gyroscope de la douleur : narration directe de l’événement, parcelles de la mémoire d’Adèle, atelier de l’écrivain, trois voix, trois rythmes, dans un assemblage précis. (…). Marie Cosnay est d’abord une voix qui fait de son texte un corps vivant, sachant vivre avec son secret, garant de l’intimité et de l’intégrité, pour que tout au bout du périple advienne une réelle naissance. » A qui le dites-vous Lucie Clair ? Toujours dans le mensuel , un dossier consacré à Guyotat ; brûlot de la littérature : « On lit comme édenté, ou comme si les mots se prononçaient par le ventre, l’intestin ». Avec François, nous nous sommes interrogés sur le nombre important de patients édentés que nous croisions et nous avions eu les mêmes réflexions. Comme si les mots étaient écume et érodaient l’émail ; le ressac. Comme s’ils venaient mourir contre la barrière blanche, ne désirant pas sortir et plutôt venir s’échouer et mourir tels des dauphins sur la grève. Débuté Sur mes traces de Gregor von Rezzori.

Suis allé courir. Trente cinq minutes. Pitoyable ! Les tendons sont en feu, le souffle est court. Oh la carcasse qu’il faut trimballé avec soi ! Croisé un homme qui marchait en tenant sa veste sur l’épaule. « Bonsoir ! ». Il ne m’a jamais vu. C’est troublant cette immatérialité. Devant un bâtiment, des patients en nombre prenant le dernier soleil, fumant leur clope. Moi : « bonsoir » essoufflé. Eux à l’unisson : « bonsoir ! ». Puis une femme me lance : « ne courez pas si vite : vous ne me rattraperez jamais ! »

 

 

 

 


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